Timecreṭ est célébrée dans les villages kabyles, et le partage se fait par Tixxamin, puis par Iqurray, respectivement par les maisons ou les foyers et les individus. Le mot Taxxamt, féminin de Axxam signifie donc foyer ou famille, elle signifie aussi chambre. Et c'est l'ensemble des maisons qui constituent le village. Un certain lieu urbain composé d'habitations et de quelques édifices publics comme l'assemblée, le lieu de culte, la fontaine et le cimetière. Le village fonctionne avec des lois humaines et le partage de la viande, durant Timecreṭ, se fait selon les règles et les lois du village.
Quand ce rite a-t-il été instauré en Afrique du Nord ? Si nous osons comparer cette pratique à la pratique grecque du sacrifice, nous pouvons le faire remonter à l'âge archaïque, quand les hommes de cette partie du monde, commençaient à se regrouper et à construire des villages, qui devenaient en Grèce des cités. Des cités, qui, comme nos villages kabyles actuels étaient constituées d'habitations, d'assemblées, de temples, de forums, de fontaine et de nécropoles. Cette cité naissante est gouvernée par les lois humaines. Ce sont ces cités, qui grandissantes, deviendront des Républiques, comme c'était le cas à Athènes[1] et à Rome. La première s'est faite de l'union de huit collines et la deuxième de sept. Les rites sacrificiels ont continué dans les deux Républiques, y compris sous l'Empire romain. Ces rites étaient mêmes organisés officiellement par l'Etat et sont dirigés par des prêtres.
Mais alors, comment sacrifier les hommes de cette région méditerranéenne avant l'avénement des villages et des cités. Selon le philosophe grec Théophraste, les premiers hommes pratiquaient des rites non sanglants. C'était l'époque des rites agraires ou champêtres, où l'on sacrifiait des plantes végétales à la place des animaux domestiques. Anzar est un rite non sanglant, nous pouvons donc supposer que ce rite pour l'obtention d'eau est antérieur à Timecreṭ, rite de partage de viande.
Sacrifice non sanglant dans la Grèce antique
Toujours selon Théophraste, avant l'avénement du sacrifice sanglant, les hommes sacrifiaient pour les dieux en brûlant de l'herbe, par la suite et dans l'ordre chrononlogique des fruits, des céréales (avec l'introduction de l'agriculture) et des gâteaux. Quant aux libations, elles étaient d'origine sombre (Niphalia) et se composaient d'eau et de miel[2]. A l'époque les hommes et les animaux travaillaient ensemble. Ils partageaient la peine des labeurs. Mais les guerres et les famines ont mis fin à cette relation de solidarité entre l'homme et l'animal, et ont poussé ce dernier à consommer la chair du premier. La "culpabilité" d'avoir mangé son fidèle compagnon a poussé sans doute l'homme à diviniser l'animal après l'avoir sacrifié.
Théophraste affirme l'antériorité du sacrifice non sanglant[3] sur le sacrifice sanglant. Le second est pratiqué par Prométhée avec le partage du boeuf de Mikouni (Hésiode, la Théogonie). Ce sacrifice est censé marquer la réconcilation entre les hommes et les dieux. Mais en fait ce sacrifice a causé définitivement la séparation des hommes et des dieux. Le sang[4] animal a donc mis fin à l'union des mortels et des immortels.
Pour Pausanias, dans "Description de la Grèce", le sacrifice non sanglant peut préluder au sacrifice sanglant ou constituer par lui-même un sacrifice à part entière. Les sacrifices quotidiens effectués dans les maisons ont le plus souvent deux formes ; non sanglantes et sanglantes, comme les Thargélies[5]et les Pyanepsies[6]. Certaines divinités à tel ou tel endroit, peuvent pour leur culte réclamer exclusivement des sacrifices non sanglants, comme dans le cas d'Anzar, le rite de l'obtention de la pluie.
Le rite sacrificiel comme "origine sauvage" de la religion
"La religion est, dans l'homme, quelque chose d'archaïque, de primitif, de non apprivoisé par la culture. Par conséquent, la religion n'est pas ce que les théologiens veulent entendre par là aujourd'hui : un comportement éthique et son fondement ultime dans le transcendant, le respect pour l'infini, la sublimation suprême, en somme ! A l'origine, la religion s'avère être un comportement préconscient, qui se trouve en relation avec les instincts de l'homme en tant qu'être naturel. Une "situation primitive" en est le parfait exemple." - Burket,
Kernos : revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique.
Pour Burkert : "Le cas de l'espèce humaine semble particulier du point de vue biologique, dans la mesure où, chez les animaux prédateurs, l'agressivité interne à l'espèce est clairement distinguée (sur des bases biologiques de nature instinctive) des activités consistant à chasser ou à manger, alors que c'est précisément la confusion entre l'agressivité intra-spécifique et les activités comme chasser ou manger qui provoque, dans le cas de l'espèce humaine, la nécessité d'un comportement entièrement nouveau, à savoir la création du sacré."
L'homme, prédateur comme beaucoup d'autres animaux, en créant l'idée du sacré a réussi à ritualiser la violence. En ritualisant la violence, l'homme créa la culture, ce qui le différencie des autres animaux qui deviendra le moteur de la sélection de l'espèce humaine en remplaçant ou en superposant à la sélection naturelle, qui reste intrinséque chez l'animal. Ce renversement de perspective, à savoir le passage de la nature à la culture est fondamental chez l'être humain. La culture, en choisissant ou en sélectionant le rituel, l'homme sert sa propre transmission.
En somme, dans la perspective de la naturalisation, les rituels humains dérivent d'un comportement animal : la relation existe sous forme de prédateur/proie. Mais dans le cas du rituel humain, cette relation peut être interprétée dans les deux sens : c'est l'homme qui est en position de prédateur et l'animal dans celle de la proie.
Burkert part de l'idée que le comportement humain est dérivé du comportement animal pour expliquer la nature et la fonction du rituel. Comme l'animal, l'homme demeure responsable de la survie du groupe à la fois pour la quête de la nourriture et la résistance aux agressions.
Bouzigues et Palladion écrivent dans "Sauvages origines": "Les sacrifices sanglants prennent la suite des coutumes des chasseurs primitifs que la civilisation de la ville et des paysans a adoptées en raison de leur fonction socio-psychologique : dans l'espace réservé au sacré, les instincts de destruction et le désir de tuer ont le champ libre, pour bâtir ensuite, au sortir de l'épouvante et du remords, un nouvel ordre consacré. L'expérience de la violence trace les limites du droit."
En plus de la chasse, il existe plusieurs activités que l'homme pratique sous forme de ritualisation. Ritualisation qui sert à canaliser l'agressivité du groupe des hommes. La guerre, comme la chasse, est considérée comme l'agressivité du groupe de mâles, mais contrairement à la première, cette agressivité est dirigée vers d'autres hommes, qui n'appartiennent pas au groupe. Dans le monde antique, la chasse, le sacrifice et la guerre sont symboliquement interchangeables. Et des activités rituels, il y a aussi l'enterrement durant lequel les vivants sacrifient un animal en l'honneur du mort. Cela donne l'impression à l'homme d'avoir une certaine maîtrise sur la mort. C'est surtout que ce rite est réitéré. Ce qui permet de renforcer le lien entre les membres de la communauté. Burkert écrit : "La ritualisation du comportement de chasse rendit possible un double transfert : le mort pouvait prendre la place de la bête de proie - un substitut plus sérieux que ce qu'il remplace mais, dans la fête qui suivait, la place du mort pouvait être prise à son tour par l'animal sacrificiel."
Sacrifice et construction
En Kabylie, la construction est liée au sacrifice. Dès que les villageois entament les travaux de construction, ils sacrifient un animal domestique pour arroser les fondations du sang de la victime. Une pratique très ancienne, faite sans doute pour consolider les fondations de la batisse. Ils sacrifient probablement pour le dieu de la construction.
Ce sacrifice d'un animal domestique pour arroser les fondations des batisses ne serait-il pas la théâtralisation d'une pratique très ancienne, quand les hommes sacrifiaient, (parfois même des humains) à la fondation des cités. L'exemple le plus connu est la fondation de Rome, dont le premier sillon, a bu le sang de Rémus, tué par son frère Romulus.
En dépît du présage qui favorisait la décision de Romulus de construire sa ville sur le mont Palatin contre celle de son frère Rémus la voulant sur le mont Aventin, il se voyait contraint de sacrifier son frère jumeau afin de réaliser son projet. Cela nous amène à la question de la fonction sociale du sacrifice humain au sein du groupe humain, qui, selon le courant fonctionnaliste, aurait pourr but de canaliser la violence du groupe vers un individu et vers le domaine du sacré, insititutionnalisant ainsi la violence qui est encadrée et pratiquée selon les rites et les règles bien précises. Ce rite de sacrifice humain a fait partie des rites pratiqués lors de la fondation des villes. Cela continue même aujourd'hui, les naissances des nations passent par des massacres de guerres de masses. Comme dirait l'autre : "Les nations naissent dans la douleur." - Quoique les hommes aient une attitude ambivalente vis-à-vis de ce genre de pratique. Ils se trouvent devant ce genre de pratique entre la nécessité de mettre à mort la victime et le refus de prendre la responsabilité de cette mort.
Il en est de même dans les villages kabyles, à savoir, quand un père de famille égorge un animal domestique, envers qui était destinée cette violence ? Vers le voisin qui lui interdit d'ouvrir des fenêtres vers sa cour ? Vers l'autre voisin qui refuse de l'autoriser à passer sa marchandise à travers sa propriété ? Il y a souvent des conflits de voisinage quand un villageois entreprend de bâtir une maison. Idem pour les grands travaux, comme l'assemblée, la route ou la fontaine, le village sacrifie des animaux pour ne pas diriger sa violence contre les opposants aux projets, parfois des "concitoyens" du village, et parfois les habitants du village voisin.
Si cette théorie du transfert de la violence de l'homme vers l'animal est vraie, on peut se demander alors pourquoi les hommes qui s'adonnent à de tels sacrifices en détournent le sens en les expliquant par des actes religieux en faveur des dieux ou de la nation ? Il n'y a absolument pas de différence entre une communauté humaine ancienne qui sacrifie l'un des siens pour la cohésion de ses membres et les nations modernes qui éliminent les opposants politiques pour le salut de l'unicité du pays. Le village kabyle, jugé "archaïque" par les responsables de l'Algérie ne sacrifie plus d'humains pour sa cohésion, ils sacrifient des boeufs, contrairement "aux civilisés du pouvoir" qui continuent de sacrifier l'humain, notamment le Kabyle, pour la pérennité de leur Etat arabo-islamique.
Construire est donc synonyme de sacrifice. Les fondations des villes, des lieux de cultes et des nations ont besoin du sang humain. Sacrifier un boeuf aujourd'hui dans un village ne serait-il pas la répétition d'un acte immémorial quand les hommes sacrifiaient l'humain pour arroser les fondations de leurs villages et cités ?
Qui est donc ce dieu de la construction ?
Après que Sopatros ait tué le boeuf laboureur, lors d'un sacrifice végétal sur l'Acropole, l'Attique fut frappée par la souillure, la terre devient la proie de sécheresse et de la famine. Suite à quoi, les Athéniens chassèrent Sopatros de la cité. Mais l'oracle de Delphes, consulté, conseille aux Athéniens de rappeler l'exilé, seul susceptible de les libérer de la souillure. Il leur prescrit de châtier le coupable et de réitérer le même sacrifice en remettant le mort sur pied, tout en précisant que leurs maux prendraient fin, à condition qu'ils consomment la chair de la victime sans s'en faire scrupule. (Voir le premier article)
Ainsi donc l'oracle de Delphes, autrement dit du dieu Apollon, veut l'institution du sacrifice sanglant. Sopatros revenu, la mort du boeuf est mise en commun. Un boeuf est sacrifié au nom de la communauté toute entière. Le couteau, reconnu coupable est jeté à la mer, la peau de l'animal sacrifié bourrée de foin et le boeuf reconstitué attelé à une charrue, tandis que les Athéniens festoient en se partageant la viande. (Méditerranée, mythes et grands textes fondateurs Cours SHS-EPFL 3ème année -2008-2009)
Voilà donc le conseil d'Apollon aux Athéniens: rappeler l'exilé et mettre à mort un boeuf pour sauver l'Attique de la souillure. N'est-ce pas le même dieu, Apollon en l'occurence, qui donne la souillure et qui conseille en même temps la mise à mort d'un boeuf ?
En exigeant de tout recommencer, de mettre à mort un autre boeuf, mais cette fois-ci dans un cadre sanglant et festif, Apollon permet à Sopratos et aux Athéniens de corriger l'erreur initiale et de donner au comportement du boeuf son sens absolu[7]. Le partage des viandes et le manger ensemble fond et renforce le lien social des Athéniens. Voilà que l'acte sacrificiel, sanglant cette fois-ci, achève un processus de civilisation champêtre ou nomade où l'on pratiquait des sactifices non sanglants, et met en place celui du sacrifice sanglant, autrement dit celui de la cité. Au temps de Sopatros, un étranger pratiquant l'agriculture en nomade à travers l'Attique, témoigne dans le mythe que les habitants de l'Attique n'avaient pas encore achevé le processus de formation de la cité et sa territorialisation. Souvenez-vous que le jour où il tua le premier boeuf avec une hache, les habitants d'Attique étaient en train d'exécuter sur l'Acropole un rite non sanglant en l'honneur des dieux.
Apollon, dieu arpenteur
Marcel Détienne décrit Apollon, le couteau à la main, le dieu de la beauté et de la lumière, parti de Délos, lieu de sa naissance, arrive à Delphes, égorge le python et prend possession de la parole oraculaire. Armé d'un couteau, le jeune dieu, fils de Zeus et de Létho, s'en sert pour tailler les chemins et découper les autels. Amateur des fumets, entouré de garçons bouchers, Apollon exige partout des hécatombes, humant les graisses odorantes et les chairs grésillantes.
Delphes est le lieu de prédilection d'Apollon. Il convient pour chaque sacrifice de ne pas oublier la part du couteau à égorger. Le couteau que lui même conseille aux Athéniens de jeter à la mer après l'abattage du boeuf. L'objet muet que les hommes culpabilisent après le meurtre. Couteau de dieu qui dicte sa loi et qui devient même la volonté de dieu. Couteau qui taille la viande, les chemins et découpe les territoires. Apollon est un dieu arpenteur, partout où il arrive il ordonne de bâtir un temple en son honneur. Apollon arpenteur, le couteau à la main, Apollon l'égorgeur est un architecte. Il commande l'espace et indique le chemin. Tous les chefs qui entreprenaient de faire des colonies dans la grande Grèce ne s'embarquaient pas avant de consulter l'oracle de Delphes, en l'occurence Apollon, bâtisseur des villes. Dans la construction de chaque cité, la décision de l'espace, la place du foyer public et des sanctuaires est inspiré par le dieu géomètre. Pour Détienne, Apollon fait oeuvre politique dans l'attribution des lots entre citoyens et dans la conception de l'espace, où prendra forme l'agora, le lieu de la parole et de la décision politique.
La colonisation de la Libye par la Grèce, Pindare la présente comme fixée par le destin et surtout par les dieux, que ce soit par Poséidon[8] qui par l'intermédiaire de son fils donne la terre de la Libye à la Grèce, que ce soit par Apollon qui par la bouche de la Pythie de Delphes enjoint les Théréens et Battos en particulier à se rendre sur les terres de Libye "riche en troupeaux". Plusieurs versions, liées à Apollon et à la colonisation par les Grecs de la Libye, nous sont essentiellement données par les scolies (commentaires des savants d'Alexandrie) aux Pythiques dont la référence de base est Hérodote. Nous choisissons ici de n'en donner que celle de Battos, qui reçoit l'ordre suivant de l'oracle d'Apollon : "Battos, tu es venu au sujet de ta voix, mais Phoebos Apollon t'envoie en chef colon de la Libye aux riches troupeaux. (Voir "L'image des Libyens dans la littérature grecque", mémoire, Mohand Lounaci.)
La cité kabyle
Il est intéressant de noter que dans la langue kabyle semble subsister des éléments liés à cette symbolique du couteau fondateur d'Apollon. En effet, dans la cité kabyle, ajenwi[9], dérivant probablement du mot Ajenna/Le ciel, pourrait signifier Agenwi/La Céleste. Gezmen-tt deg wawal/Ils l'ont coupé dans la parolepour dire : ils ont pris la décision; Igezm-ik lqanun/La loi t'a coupépour dire la loi te condamne; igzem abrid/Il a coupé la route pour direil a pris un raccourci; Igzem layas/Il a coupé l'espoir/Il est désespéré; gezmeγ-d limin/J'ai coupé le sermentou bien j'ai juré; igzem-iyi awal/ Il m'a coupé la parole; a k-gezmeγ iles-ik/Je te couperai la langue; etc. Dans la chanson d'Aït Menguellet Acimi ?/Pourquoi ?, il disait : "Ahat d ajenwi i γ-yezlan, d netta ara γ-d-isekren/Peut-être que c'est le couteau qui nous a égorgé,qui nous remettre debout."Il personifie le couteau, il en fait presque une divinité, une volonté divine. Le couteau, dans la chanson d'Aït Menguellet, a un rôle actif. Il a le pouvoir d'anéantir tout un peuple, en l'occurence le peuple berbère, mais il est capable aussi de le rendre à la vie. N'est-ce pas ce qu'a fait Apollon, maître du couteau: rendre à la vie Dionysos après qu'il fut taillé en petits morceaux par les Titans ? Il est capable de couper, mais de rassembler aussi. Il est aussi le maître de l'unité.
Le couteau est lié aux pouvoirs divins. Il est responsable des malheurs humains, mais il peut aussi être libérateur. Il découpe les terres, trace des chemins, défrichent des terrains pour bâtir des villes. En égorgeant le second boeuf, les Athéniens ont responsabilisé le couteau, l'objet muet représente la voix divine. Apollon a conseillé un sacrifice, les Athéniens l'ont fait en festoyant, car ils ne se sentaient pas coupables d'avoir égorgé leur compagnon de labeur. Apollon par son oracle a pris la responsabilité du meurtre à travers le couteau. Les monothéistes ont repris cette forme de croyance. Ne responsabilisent-ils pas Dieu quand ils commettent des crimes en son Nom ? Ne se lavent-ils pas les mains quand ils détruisent des pays et anéantissent des peuples et des culture en son nom ? Pire, les religieux monothéistes reprochent toutes les catastrophes à Dieu, de la moindre maladie jusqu'aux tremblements de terre. Toute catastrophe, y compris la misère et le manque de santé, les religieux monothéistes responsabilisent Dieu tout en accusant l'humanité de mécréance et d'athéisme. Ils parlent même du désir de Dieu d'expérimenter la foi des hommes. Dieu laisse l'être l'humain dans le dénuement de sa naissance jusqu'à sa mort dans le seul et unique but de tester sa foi. Voilà comment l'humain croyant se déresponsabilise en responsabilisant les dieux. Abraham, en quittant sa femme et son fils dans le désert, dit "Telle est la volonté de Dieu !"
Sans le couteau, aucune loi n'est possible, aucune organisation sociale n'est possible, aucune ville n'est possible. En éliminant Rémus avec sa lame, Romulus a bâti la cité éternelle. Le plus grand empire que l'histoire ait connu. En coupant la tête de Dihia, le couteau a détruit tout un peuple et toute une civilisation. C'est probablement le couteau auquel Aït Menguellet faisait allusion dans sa chanson. Dans sa pièce de théâtre "La femme sauvage", Dihia en l'occurence, la reine des berbères qui a combattu les armées arabes et islamiques, Kateb Yacine écrivait :
(Charge de cavalerie. Elle (Dihia) est tué au combat. Deux jeunes filles et des paysans portent le corps (de Dihia), face au soleil couchant)
Première jeune fille
Regarde le soleil,
Lui aussi il s'est couché.
Lui aussi semble mort,
Il gagne à s'estomper
Il laisse un vide
Evanoui dans le bain de sang
Il fait sentir qu'il est unique.
Deuxième jeune fille
Soleil rouge assombri,
Soleil de la patrie,
Couché sous le poignard
De tant d'astres jaloux
Et impatients de boire
Le sang chaud de ta chute !
Première jeune fille
Soleil rouge assombri
Plonge dans le désastre
Au seuil du crépuscule
A l'ombre de ta patrie !
Deuxième jeune fille
Soleil rouge assombri
Tu deviendras plus rouge encore
Même s'il faut passer mille et une nuits blanches !
Première jeune fille (aux paysans)
A présent, aidez-nous
Et tranchez-lui la tête.
Deuxième jeune fille
Rejetez-la au fond du puits.
Premier paysan
Oui, enterrons le corps sans tête
Ainsi les ennemis ne pourront plus l'identifier.
Deuxième paysan
Il la croiront tout à fait morte.
Première jeune fille
Elle n'en vivra que mieux
Dans les rêves du peuple,
Comme si elle était toujours à ses côtés.
Premier paysan (au second)
Prends le couteau.
Deuxième paysan (au premeir)
Toi, tiens la tête.
(Ils égorgent le cadavre)
Premier paysan
Nous les derniers des paysans
A nos arbres sacrifiés
Nous ne savions plus
Ce qui nous retient
Des hommes que nous étions
Ou du poignard qui nous supplante.
[1]Athènes possède huit collines dont les deux plus élevées : le Lycabette (Lykavittos) et l'Acropole (Akropolis) peut se voir où que l'on soit. Quant à Rome, elle est constituée de sept collines : L'Aventin (Aventinus), le Caellus (Caelius), le Capitole (Capitolium), l'Esquilin (Esquilinus), le Palatin (Palatinus), le Quirinal (Quirinalis) et le Viminal (Viminalis).
[2]Mélange d'eau et de miel, qu'on appelle l'hydromel (Hydromeli) que les Nord Africains, comme leurs voisins Grecs et Romains, consommaient. Après l'invasion des Arabo-islamiques, cette boisson fut interdite en Afrique du Nord. Nous nous souvenons encore, il y a quelques années, que nos parents nous disaient que boire le mélange d'eau et de miel provoque la mort. Y a-t-il donc des libations chez les Berbères de l'Antiquité ?
[3]Le sacrifice non sanglant comporte aussi l'offrande, qui selon Théophraste, est le sacrifice ordinaire des pauvres : mélange de farine, de vin et d'huile, qu'on appelle Thulma. Les Kabyles font des offrandes aussi aux divinités, ils offrent à ces dernières surtout de la nourriture qu'ils entreposent à leur attention devant les grottes, sur les troncs d'arbres, etc.
[4]A partir du VIème siècle av. notre ère, des mouvements religieux remettent en cause la légitimité du sacrifice sanglant : les Orphiques et les Pythagoriciens. Les premiers tirent leur nom d'Orphée, qui, selon Aristophane, dans les Grenouilles, a enseigné aux hommes les mystères et à s'abstenir de meurtres. Dans ce cas, le meurtre ne se limite pas à l'homicide, mais inclut aussi le sacrifice animal. Les Pythagoriciens doivent leur nom à Pythagore, qui, lui aussi, a interdit, selon Diogène Laêrce, à ses disciples de tuer des animaux. Les uns comme les autres ont les mêmes tabous alimentaires, sacrificiels et vestimentaires.
[5]Thargélies : du grec Thargélia, une fête en l'honneur d'Apollon et d'Artémis, célébrée à Athènes et dans les cités ioniennes. Pour Athènes, les fêtes des Thargélia sont célébrées en l'honneur d'Athéna en lui offrant les fruits de la terre. dans les îles ioniennes, on offre les premières récoltes agricoles à Apollon, adoré sous forme d'Apollon-Hélios.
[6]Pyanepsies : fête que les Athéniens célébraient autrefois, en l'honneur d'Apollon, le septième jour du mois d'octobre. Plutarque dit que ce fut Thésée qui l'institua, parce que, revenant de Crête, il fit un sacrifice à Apollon de tout ce qui restait de fèves; qu'il mit le tout dans une marmite, le fit cuire, et le mangea avec ses compagnons; ce que l'on imita ensuite, en mémoire de son heureux retour. Ce fut à partir de ces fèves cuites que la fête fut appelée Pyanepsies.
[7]Pour les Anciens, la mise à mort des bêtes en l'honneur des dieux, notamment les animaux domestiques, s'explique soit au plan du mythe, soit en renvoyant ces animaux du côté nuisible. La première chèvre aurait été abattue pour avoir brouté un pied de vigne. L'homme a toujours cherché une cause avant d'abattre un animal. A la chasse, il tue l'animal sauvage comme il tue son ennemi barbare à la guerre. Puis parfois, il met le consentement de l'animal, comme il le fait même avec son ennemi humain quand il le pousse à avouer sa faute, puis à accepter son châtiment. En tuant à la chasse, comme à la guerre, l'homme construit au préalable une différence radicale opposant le meurtre et la mort sacrificielle. Slimane Azem chantait à propos du coq ; "Ufan-d ssebba a t-eččen, qarren-as mezzaf i gettεeggiḍ/Ils (les membres de la famille) ont trouvé la raison pour le manger, ils disent qu'il fait beaucoup de bruit." - Ait Menguellet disait à propos du chacal : "Di lmux bb wuccen i gettilli ddwa/C'est dans la cervelle du chacal que se trouve le remède" en référence à une fable : un jour, les animaux se rendent chez le lion alité. Le chacal voulant sacrifier le hérisson conseille au lion de boire le sang de celui-ci pour guérir. Le lion appelle l'hérisson et lui demande son sang. L'hérisson dit au lion : "c'est vrai que mon sang te guérira, mais à condition qu'il soit mélangé avec la cervelle du chacal. Cependant dans le cas de Sopatros, en abattant le premier boeuf, considéré comme nuisible, n'a pas respecté les règles sacrificielles, celles de l'égorgement sur l'hôtel, il est abattu d'un coup de hache, ce qui est contraire au processus rituel. En abattant le second boeuf dans les règles du rite, celui-ci reconstitué et divinisé, il s'est lui-même désigné comme une victime désignée par les dieux, conformément à une procédure de sélection de l'animal attesté dans de nombreux sacrifices à Zeus Polieusà travers le monde grec. N'est-ce pas ce que les fanatiques religieux et les gouvernements "laïques" font quand ils envoient leurs soldats à la mort ? Ne les convainquent-ils pas d'abord d'avoir été choisis par les Dieux ou par la Nation pour le sacrifce ?
[8]Poséidon est alors d'une ceratine manière à l'origine de la colonisation de la Libye, puisque par l'intermédiaire de l'un de ses fils à qui il la donne sous forme de motte de terre et à un autre de ses fils, ce qui fait que Poséidon apparaît comme le dieu auquel se rattachent les Battiades. Il est à noter tout de même qu'Hérodote écrit que Poséidon est un dieu libyen qui a été emprunté par les Grecs aux Libyens. (Voir "L'image des Libyens dans la littérature grec", mémoire, Mohand Lounaci.)
[9]Durant Timecreṭ, celui qui égorge le boeuf bénéficie à la fin du partage d'un morceau de viande de choix qu'on appelle "Leḥq ujenwi/La part du couteau."