L'origine de l'identité religieuse
La tendance, actuellement, dans les pays sous-developpés, est que chaque individu se définit par rapport à sa religion. Ce phénomène est accentué par les médias occidentaux, qui, sciemment, désignent toute personne venue d'ailleurs, surtout de ces pays sous-developpés, par leur confession religieuse : communauté juive (à majorité sépharade), communauté chrétienne évangélique (des noirs américains et africains) puis la communauté musulmane (tous les ressortissants d'Afrique du Nord, Africains du Sahel, Moyens Orientaux et tous les peuples pauvres d'Asie).
La plupart des individus composant ces communautés se définissent aussi - et tirant fierté et orgueil de cela - par leur religion. Ils s'organisent même pour être visibles. Quant aux athées et autres agnostiques issus de ces communautés, ils demeurent invisibles et non reconnus, ni par les médias des pays dits Laïcs, ni par leurs semblables communautaires. Pour ces derniers, ils ne sont que de mauvais religieux égarés que Dieu remettra un jour sur la bonne voie.
Les médias des pays développés sont-ils à blâmer de présenter et de désigner par leurs religions les hommes et les femmes des communautés sus-citées ? Nous pouvons effectivement leur reprocher cela, mais ils ne sont pas les seuls responsables de ce fait, car les concernés eux-mêmes se présentent comme tels.
L'identité religieuse a la peau dure. Elle s'invite dans chaque débat public et dans chaque discussion, à croire que celle-ci est un fait naturel ou une tâche de naissance. On oublie que cette identité est un fait politique inventé par l'église romaine sous le "règne" de Théodose "LE GRAND". Dans son Histoire de la Rome antique - Les armes et les mots - Lucien Jerphanéon écrit : "A la différence des anciens de Rome, tout en rituels extérieurs, la religion du Christ engageait le plan de la conscience personnelle, ce qui était une nouveauté radicale. Elle exigeait de ses adeptes, et quelle que soit leur condition ou leur rôle dans la société civile, une adhésion intérieure aux requêtes des instances spirituelles représentant le Christ en personne. Nul ne pouvait s'y soustraire, qu'il soit esclave chargé de l'entretien des escaliers, préfet ou empereur en exercice. On était Chrétien avant d'être esclave, préfet ou empereur. Du coup l'empereur romain, comme n'importe quel autre fidèle, se trouvait dans l'église, non au-dessus, même dans l'exercice de quelque charge que ce soit. Situation inédite : un Trajan, un Marc-Aurèle était pontifex maximus et de ce fait maître des cultes romains. Un Théodose n'est plus d'aucune religion - il a refusé le titre païen -, et moins encore du Christianisme. Sa conscience personnelle se trouvait donc soumise désormais à l'autorité des pontifes chrétiens, dépositaires de droit divin des normes imposées à tout fidèle."
Voilà donc en quoi consiste l'universel chrétien, - ce que précisément veut « catholique » (du grec kat’holos : pour le monde entier) - donner la même identité à tout le monde sans distinction. Egalité totale devant la nouvelle divinité. Quel bonheur pour l'esclave qui se voit partager la même identité que l'empereur. Chrétien avant tout, même si cela ne lui rend pas sa liberté, après tout, n'est-ce pas la volonté de Dieu que de faire de lui un esclave ? Ce n'est pas grave, il est Chrétien comme ses maîtres. Il en va de même aujourd'hui dans les pays musulmans, la fierté d'être Musulman compense l'oppression, l'injustice, l'humiliation que les Musulmans subissent de tous les côtés, notamment de leurs frères émirs, dictateurs et autres tyrans. Dans certains cas, ils se présentent même plus musulmans que leurs dirigeants qu'ils accusent parfois de mécréance et d'apostasie.
Religion, identité et culture
Les pays développés, une fois émancipés de l'identité religieuse, ont eu tendance à l'imposer aux peuples les moins avancés, un signe de distinction sans doute, une appellation qui dérive historiquement des mots Barbares pour les Grecs et les Romains et sauvages pour les anciens colonisateurs. Car qu'est-ce qu'un Musulman pour un homme moderne, laïc et politique, si ce n'est une réplique du Chrétien du Moyen-âge ?
La plupart des musulmans portent le badge religieux avec fierté, tout en se sentant stigmatisés quand un non-Musulman les renvoie ou les réduit[1] à leur religion. Inconsciemment, ils ressentent du mépris, ils savent que Musulman signifie pour l'homme dit moderne l'Autre, celui qui a d'autres valeurs qu'eux, celui qui n'est pas encore dans le temps politique et historique, en un mot le barbare ou le sauvage. Ils se retrouvent soudain dans une situation très compliquée : c’est comme s’ils se faisaient violence en revendiquant leur identité religieuse, car ils le font plus contre les non-Musulmans, qu'ils qualifient d'ennemis, que pour leur bien spirituel. Etre religieux, et ce depuis la Rome de Théodose et le triomphe du Christianisme, est un acte politique, d'où les tensions, les haines et les guerres qui ont découlent.
Dans les pays avancés d'Europe et d'Amérique, le Chrétien est devenu citoyen, du moins officiellement et constitutionnellement. Cependant, ces pays ont à gérer le vivre ensemble entre les "sectes" religieuses, chrétiennes, musulmanes ou juives. Ces replis identitaires et religieux menacent la paix civile à tout moment et dans le monde entier. Ce que la République romaine a enduré de la part de la "secte" chrétienne dans l'antiquité a tendance à se renouveler aujourd'hui dans les Républiques occidentales, qui revendiquent l'héritage républicain de Rome.
Si Rome considérait les étrangers qui affluaient chez elle comme barbares, les pays développés actuels qualifient les nouveaux migrants de Musulmans. Mêmes stéréotypes et clichés chez les citoyens des pays hôtes que les citoyens romains, et même réaction chez les migrants que les Chrétiens de Rome. Nous sommes passés des catacombes de Rome aux caves des grandes capitales occidentales.
Le discours politique européen est en phase avec celui des religieux fondamentalistes, ils ont la même définition du migrant : un Musulman. S'il ne l'est pas de religion, il l'est de culture. Forcément, il est différent. Personne, parmi ces derniers, fussent-ils intellectuels, ne peut se définir comme il le souhaite. Ce sont les médias et les politiques qui décident de ce que vous êtes. Et au fur et mesure que vous harcelez les migrants, même les plus volontaires à l'intégration, ils finissent par rejoindre la secte. Comme dirait le proverbe : "Si vous faites de votre semblable un chien, il finira par vous montrer ses dents."
Le fanatique occupe alors l’espace public, politique, identitaire. Il ne veut pas être citoyen, vous pouvez le déchoir de toutes ces appartenances politiques, juridiques, sociales, qui font l’homo politicus moderne. Il ne les reconnaît pas, puisqu’elles ne sont pas à la hauteur de son absolu. Le fanatique devient l’expression exacerbée d’une identité qui est à la fois imposée, ressentie comme niée ou méprisée, et revendiquée comme essentialiste, la dialectique du maître et de l’esclave, mouvement de négations de négations qui se suivent et qui sont le fruit d’un sentiment d’infériorité et de dépossession de son propre destin. Autant alors se réfugier dans « les arrières mondes », dirait Nietzsche. C’est le ressentiment qui guide dès lors celui que l’on étiquette de telle croyance, qui se marque le front de sa religion, et qui est prêt à tout pour imposer son identité aux autres, il sort de son temple identitaire et religieux.
Mais quand le fanatique sort de son temple, que reste-t-il aux profanes qui le croisent ? Quand le fanatique entre dans le lieu du profane et se fait profanateur ? Quand plus rien n'est sacré si ce n'est la soif de mourir et d'emmener avec soi les autres qui ont le tort de ne pas être comme soi, que devient le dieu auquel on voue un culte aveugle ? Rien, plus rien, absolument rien. Tout est nié dans la quête éperdue, irrationnelle, d'un nihilisme sans loi, d'une foi chevillée au corps, devenue ceinture explosive : cette foi fait feu de tout et sur tout. Les événements récents en France, mais aussi dans ces années 90 algériennes qu’on qualifie de « décennie noire » , et encore en Syrie, en Libye, en Tunisie et ailleurs partout dans le monde, viennent donner au fanatique une formidable caisse de résonnance.
Le fanatique, Erostrate* moderne qui brûle le temple des Hommes. Et Erostrate se fait un nom, sur les dépouilles de l'histoire, sur les victimes expiatoires de son désir de gloire et de reconnaissance. Il atteint la renommée, la notoriété par l'infamie. Un nom, rien de plus, ni un héros, ni une victime, un simple nom. On oubliera ce nom, il disparaîtra dans la mémoire des siècles, mais il restera ces ruines, ces absences, ces possibles interrompus dans le cœur des vivants. Et puis on passera à autre chose, on tournera la page et on oubliera qu'un jour se tenait là, majestueux, la merveille des temples. Jusqu'à ce qu'un jour, un autre possédé de dieu entre par effraction dans la vie des hommes et verse encore un flot de haine et de sang. Rien de nouveau sous le soleil des hommes. La religion est une illusion qui a de l’avenir. Et elle reste ce par quoi certains veulent définir l’autre pour tenter une explication simple et stéréotypée de ce monde incompréhensible et complexe.
Le cas des Kabyles d'Algérie
La même pression s'exerce sur les peuples dans les pays du Sud. Si nous prenons le cas de l'Algérie, l'Etat algérien et ses alliés islamistes parlent plus de religion qu'autre chose. L'identité religieuse est constitutionalisée au point qu'être Musulman est plus important et plus rentable que d'être Algérien. Presque tout le peuple considère cela comme acquis. Reste la communauté kabyle, tenue jusque-là loin de la secte, grâce à son Histoire et sa langue, ces derniers temps, la forteresse commence à céder, du fait du cheval de Troie que sont l'école, les médias et les moyens déployés par l'Etat algérien pour maintenir la loyauté de certains Kabyles. Ainsi, ces derniers glissent petit à petit dans l'abîme religieux. Cette pression permanente a fini par avoir raison des espoirs de la lutte et des promesses de vie meilleure que leurs leaders politiques et artistes ont cultivés chez eux.
Le Kabyle lutte pour être reconnu, mais en vain. En Algérie, le pouvoir le considère comme la main de l'étranger, les militaires le voient comme traître et une menace pour l'unité du pays, les religieux le qualifient de mécréant à réislamiser, les pseudo-démocrates l'accusent de racisme et d'enfermement; puis les plus gentils, lui reprochent son manque d'ouverture vers l'autre, c'est à dire à l'Arabo-Musulman. Quant « au monde libre », comme on disait autrefois quand ce mot avait un sens, notamment la France, le considère comme Arabe et Musulman[2]. Pour se faire reconnaitre, le Kabyle redouble de dévouement à la Nation. Il est tombé dans le même piège que le migrant, à qui les pays d'accueil demandent davantage de sacrifices qu'à ses propres citoyens. Le Kabyle culpabilisant (un reste chrétien sans doute), pour prouver sa bonne foi, s'engage sans condition dans l'amour du pays. Il va quand les circonstances l'exigent jusqu'à sacrifier sa vie pour des causes qui ne sont jamais les siennes. Mais à la fin, il ne récolte que mépris et haine de la part de ses "frères" d'armes.
Aujourd'hui, désespéré de voir s'éloigner son rêve d'une Algérie algérienne; acculé par l'avènement d'un néo-islamisme conquérant, il se détache petit à petit de son rêve, tout en refusant de céder à la tempête verte, lui qui désire être lui-même... Il se retrouve au carrefour des civilisations, entre son idéal et celui de ses adversaires. Le temps le presse et le choix qui s'offre à lui est crucial, rejoindre la meute religieuse et s'effacer en tant que Kabyle ou s'émanciper totalement de sa tutelle arabo-islamique, autrement dit, créer sa propre République pour qu'il puisse devenir non pas Kabyle, mais Citoyen de Kabylie, comme celui d'Athènes et de Rome d'autrefois.
Et s’il s’agit des valeurs morales, de la vertu et l’attention à l’autre, faut-il être religieusement identifié pour être un homme bon ? Voici la réponse du poète :
Ma teγliḍ medden akk inek
Ma terbḥeḍ ḥedd ur k-issin
Akka i dak-iban lqum
Ad tseggem ddunit yiss-ek
Lukan am kečč ttilin
A s-tekkes nnuba i wemcum
“Dans les difficultés on trouve toujours du soutien
Dans le succès tout le monde vous ignore”
C’est ainsi que tu vois le monde.
Avec toi, la vie se fera belle.
Ah si tout le monde était comme toi!
Jamais l’ingrat ne trouvera sa place.
I telhiḍ amarezg-ik
Lukan am kečč ttilin
Ssbeṛ d-ittbanen γef udem-ik
Yettak lǧehd i umuḍin
Lxiṛ i yezraε ufus-ik
Medden akk seg-s ttawin
Heureux toi qui es bon
Ah si tout le monde était comme toi!
La patience des traits de ton visage
Redonne vigueur au moribond
La générosité semée par ta main
Tout le monde en profite
Ddunit ma theddṛeḍ fell-as
Tban-d d aǧuǧǧeg n wussan
Lmut ma theddṛeḍ fell-as
Tban-d d inigi ameqqran
Yid-k kulwa ad yaf ayla-s
Yakk d zzhu bγiṛ lawan
Quand tu parles de la vie
Elle se fait fleurs de jours
Quand tu parles de la mort
Elle se fait long voyage
Chacun, avec toi, trouve ce qui lui convient
Et même de la joie à tout instant.
Ma nesteqsa-k γef ussirem
Nettaf-it-id γer γur-k
Ma nesteqsa-k γef lhemm
Nettaf-as-d ddwa yiss-ek
Tamurt-ik ur tsεi isem
Kul tamurt amzun inek
Quand on t’interroge sur l’espoir
On le trouve auprès de toi
Quand on t’interroge sur la discorde
On lui trouve un remède grâce à toi
Ton pays n’a pas de nom
Chaque pays est comme le tien.
Ur tqebleḍ tiseγlit
Ulac ẓerb i wul-ik
Neγ lxilaf di tneṣlit
Ama icbeḥ neγ berrik
Γur-ek yemma-k d ddunit
Lεibad-is d atmaten-ik
Tu n’admets pas de porte close
Tu n’as aucune clôture en ton coeur
Tu ne fais aucune différence de race
Qu’il soit blanc ou noir
Parce que la vie est ta mère
Chaque homme est ton frère
Nesteqsa-t γef ddin-is
A neddu yid-es a t-netbaε
A nẓeṛ amek ig iga yisem-is
Isem-is nnbi i-s yettẓalla
Mi nettraǧu lwajab-is
Izza akkin, udem-is yeḍsa.
On l’interrogea sur sa religion
Pour se convertir à sa voie
On voulait connaître son nom
Le nom du prophète qu’il priait
Chacun attendait sa réponse
Il se tourna, et son visage s’éclaira d’un sourire.
Lounis Aït Menguellet, "Lukan", in l'album "Acimi"
[1]Dans les médias occidentaux, un ressortissant d'un pays dit musulman est automatiquement Musulman. Quand il arrive à une personne venue de ces pays, de revendiquer son athéisme, les mêmes médias disent de lui qu'il est de culture musulmane. Mustapha Ourad, correcteur chez Charlie Hébdo, connu pour ses positions anti-religieuses est défini par Edwy Plenel de Médiapart de culture musulmane. Chose qu'il partage amplement avec Tariq Ramadan. Cela se disait des Juifs aussi. On continue de qualifier certains savants tels Freud et Marx de juifs, alors que tout le monde connait leur athéisme et leur aversion de la religion. Mais cette même presse ne nous présente jamais les savants et philosophes « de culture chrétienne » sous l'étiquette religieuse, même quand ces derniers s'en réclament. Ils sont juste des savants et des humanistes.
[2]Le Kabyle désire être reconnu, en tant que Kabyle d'abord. Il met sa Kabylité en avant partout où il arrive. Ce désir de reconnaissance inassouvi le pousse parfois à détester même le monde libre, celui qu'il considère comme un but à atteindre. C'est là où les Arabo-islamistes interviennent pour semer dans son coeur la haine de l'Occident, car ils lui rappellent que Kabyle ou pas, ils sont tous Musulmans et les Occidentaux pensent que kifkif bourricots. Beaucoup de Kabyles se détournent alors de leurs convictions premières et reviennent vers leur colonisateur initial, car très sournois, celui-ci se présente aussi comme colonisé et victime du monde libre. Ce discours lui est tenu à la fois par la gauche algérienne, dont beaucoup de Kabyles, mais aussi par les Nationalistes algériens, férus d'Arabisme, qui en France, appellent le Kabyle mon frère; en Algérie le traître. La réaction de certains Kabyles est des plus surprenantes, en France, ils se considèrent comme Arabes et Musulmans, puis en Algérie, comme Kabyles et Amazighs (C'est-à-dire homme libre)
Dans sa nouvelle Érostrate, publiée dans le recueil de nouvelles Le Mur, Sartre résume l'histoire en quelques lignes :
« — Je le connais votre type, me dit-il. Il s'appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n'a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d'Éphèse, une des sept merveilles du monde.
— Et comment s'appelait l'architecte de ce temple ?
— Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu'on ne sait pas son nom.
— Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d'Érostrate ? Vous voyez qu'il n'avait pas fait un si mauvais calcul. »